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Questions à... Juvence Ramasy, maître de conférences à l'université de Toamasina, Madagascar.

(Antananarivo © Jean-Pierre Bat 2016)
Questions à... Juvence Ramasy, maître de conférences à l'université de Toamasina, Madagascar.

Zébus, bois de rose, vanille... Quels trafics agitent Madagascar et comment les qualifier ?

Madagascar à la suite du coup d’État de mars 2009, s’inscrit dans une gouvernance criminelle, qui a vu les trafics de tout genre prendre une ampleur considérable. Cela passe du bois de rose, au zébu, corail noir, les tortues, les pierres précieuses et autres. L’absence de l’Etat dans les « zones rouges » représentant environ 200 000 km² milite en faveur du développement de tels trafics. Nous sommes ainsi passés d’un banditisme rural à des vols organisés incluant différents entrepreneurs (politiques, économiques, militaires et gendarmes).

C’est notamment le cas du vol des Dahalo (ou malaso, « voleurs ») qui sont armés d’AK-47 et qui opèrent avec la complicité de certains membres des forces armées. La présence des armes peut s’expliquer par leur « sortie » de l’arsenal de l’État au moment de la crise de 2002 et de celles de 2009 ainsi que par des achats d’armes (fusils d’assauts, fusils de combat, etc.) en provenance d’Allemagne (550 euros), d’Italie (70 367 euros) et de Grande-Bretagne (1 120 613 euros) en 2011 et 2012. Cela passe également par la location des armes par les forces armées. Si nous prenons le cas des vols de zébus, nous pouvons apparenter cela à un écran de fumée qui permet ainsi de détourner l’attention et d’opérer d’autres trafics plus lucratifs.

Qui sont derrière ces trafics, en apparence très variés ?

Des entrepreneurs de l’insécurité tirent les premiers bénéfices de ces divers trafics installant Madagascar dans un hub de trafics à l’échelle régional et international. Il s’agit d’entrepreneurs issus des milieux économiques bien entendu mais également politique afin d’avoir une « autorisation » ou alors une « protection ». La corruption y joue un rôle prépondérant et permet ainsi de bénéficier de la protection d’une partie des forces armées (gendarmes).

Nous pouvons ainsi reprendre l’expression de Marielle Debos pour qui « l’État, c’est du commerce ». Dans cette perspective, l’utilisation de la violence politique se double d’une criminalisation de l’État, notamment de sa gouvernance ainsi que de son économie. L’État apparaît en ce sens comme «un conglomérat de positions de pouvoir dont les occupants sont en mesure à la fois de s’assurer à eux-mêmes de substantiels revenus et de répandre autour d’eux places, prébendes, gratifications et services ».

Au sein de cette gouvernance criminelle, une alliance entre les entrepreneurs (politiques, économiques, militaires) se met en place où chacun exerce une fonction qui lui est propre. Nous sommes en présence d’une violence rationnelle mise en œuvre par des entrepreneurs de l’insécurité où l’argent sale permet la consolidation de la puissance publique par le financement des mécanismes de la représentation politique. L’apparition de foyers de tensions permet de développer des affaires illicites générées par l’insertion dépendante de Madagascar au sein de l’économie internationale.

Cette économie politique de la dépendance est entretenue par des élites criminelles (entrepreneurs nationaux et étrangers) qui en tirent profit, inscrivant ainsi Madagascar au sein d’un hub de trafics autant régional qu’international. En effet, ces derniers opèrent tant à l’échelle locale que nationale (bois de rose aux Comores, Maurice, Chine, Allemagne et États-Unis ; pierres précieuses au Sri Lanka, Thaïlande, République Démocratique du Congo et Dubaï ; zébu (Comores, Chine,) ; corail noir (Chine) ; trafic d’ossement, etc.).

En fait, Madagascar constitue un terrain propice au développement d’activités illicites en raison de la faiblesse de ses forces de sécurité (manque d’équipement, volonté des gouvernants) et par la porosité des accès à l’île. Nous sommes face à un système économique « non régulé » où les activités économiques contournent la régulation économique de l’État et n’appartiennent pas à un domaine distinct de l’économie dite formelle.

De plus, nous assistons désormais à l’intrusion des « trafiquants » au sein de la sphère politique. Ils sortent ainsi de « l’État profond » afin d’occuper des postes au sein du gouvernement, du Parlement comme au Kenya où lestrafiquants de drogues sont présents au Parlement. En agissant ainsi ces derniers peuvent modeler selon leurs intérêts, les relations entre les élites politiques, la partie de la population où se déroulent les trafics (une partie de leur clientèle) et une partie des élites économiques aussi bien à Madagascar qu’en dehors du pays. Ainsi se développe au sein du système politique une logique patrimoniale comme mode de gouvernance où un système de patronage s’opère.

Quels circuits d’exfiltration de ces marchandises « entourent » Madagascar ? Et comment interpréter la place de « hub » que recouvre la Grande Île ?

Comme nous l’avons précédemment annoncé, Madagascar est inséré dans un hub de trafics à l’échelle régionale et internationale. Dans ce cadre, les divers trafics s’opèrent dans diverses régions du globe. Il s’agit notamment pour le bois de rose, des Comores, de Maurice, de la Chine, de l’Allemagne et des États-Unis dans une moindre mesure ; pour les pierres précieuses du Sri Lanka, de la Thaïlande, de la République Démocratique du Congo et de Dubaï ; pour le zébu des Comores, de la Chine ; pour les tortues radiées de la Chine ; pour le corail noir de la Chine ; trafic d’ossement (connu sous le nom de vols de « saphir blanc », etc.). Le circuit du bois de rose, exporté à 98% en Chine, est le suivant Madagascar – Zanzibar – Comores (Anjouan) – Kenya (Mombasa) – Singapour – Hong-Kong – Chine et arrive principalement dans la ville Xianyou.

Les quantités d’or qui sortent illégalement de Madagascar sont estimées à 2 tonnes par an et vont principalement à Dubaï, à Maurice, en Asie. Elles passent notamment par les Comores avant d’arriver à Dubaï.

Le trafic de corail noir s’effectue dans le sud du pays, dans les régions Anosy et Androy. Il sert à fabriquer des bijoux et exporté principalement vers la Chine. Il s’agit d’un business lucratif à l’image des autres. À tel point que l’on le surnomme le « bois de rose de la mer ».

Le trafic de « saphir blanc » va à l’encontre des traditions malgaches. Il concerne la quasi-totalité des régions de l’île. Celui irait dans une usine de transformation dans la capitale, Antananarivo d’après un ancien commandant de la Gendarmerie nationale et servirait également comme « emballage » afin de dissimuler la drogue, les pierres précieuses et passer les contrôles douaniers en direction notamment de l’Afrique du Sud. En effet, les composants chimiques du squelette humain comprennent du phosphore qui n’est pas détectable au rayon X.

Madagascar constitue aussi une plaque tournante au niveau de l’océan Indien pour le trafic de drogues dures en direction de la Réunion, Maurice et Mayotte. Ces drogues proviennent d’Amérique Latine (cocaïne) et du Pakistan (héroïne) après avoir transité par l’Afrique du Sud et le Kenya. Quant aux drogues douces telles que le cannabis, 6 tonnes sont produites par an dont une partie est pour la marché extérieur. Un neveu d’un homme politique a d’ailleurs été impliqué dans un réseau de trafics de cannabis en mai 2016, illustrant la promiscuité entre les 2 milieux. Nous sommes bien entendu loin de ce qui se passe dans le golfe de Guinée bien que la criminalité maritime a de beaux jours devant dans les eaux territoriales malgaches en raison de la faiblesse des moyens destinés à sa protection et surveillance. L’île ne dispose que de 200 marins pour 5 000 km de côtes.

Dans ce schéma, l’État bien qu’il soit désigné comme « faible », joue un rôle primordial dans la régulation des flux financiers illicites ainsi qu’auprès des juridictions internationales et au niveau de la législation nationale en procédant à des modifications facilitant le développement des trafics. L’affaire du bois de rose auprès de la justice singapourienne (août 2014) est là pour en attester. Des positions mouvantes et un refus de témoigner lors du procès ont conduit à l’acquittement de la société importatrice des bois de rose en août 2016.

Cette place de hub ne peut être maintenue que par un rôle de premier plan joué par l’État (élites politiques, justice, forces armées), des ramifications à l’échelle internationale, un fort degré de corruption entretenue par des entreprises locales et étrangères ainsi que la participation d’instituts bancaires qui facilitent la circulation des flux financiers illicites. Au niveau des banques locales, nous pouvons citer des banques comme la Bank of Africa Madagascar, la BNI Crédit Lyonnais et la BFV-Générale soutiennent d’une certaine manière les exportations de bois rose.

Par ailleurs, comme nous l’avons précédemment annoncé, les campagnes électorales nécessitent désormais des fonds importants et les élites économiques investies dans ces activités criminelles permettent d’alimenter les caisses noires des candidats. Cela est facilité par une loi sur les partis politiques trop vague en termes de financements et l’inexistence de telles dispositions sur le financement des campagnes. La contrepartie de telles manœuvres sera l’accès à certain marché, une protection pour la perpétuation du « commerce ».

L’ensemble de ces activités ne serait pas possible sans une législation malléable et donc contradictoire, et des décisions politiques facilitant et encourageant leur prolifération. De plus, la violence privée (cas des Dahalo) permet le développement de telles activités qui engendrent de substantiels revenus permettant des investissements légaux qui s’apparentent bien souvent à du blanchiment notamment dans l’immobilier dans la capitale ou alors en investissant dans la vanille. Cette violence illégitime se confond parfois avec la violence publique légitime. L’État voit ainsi son monopole de la violence « légitime » contestait par d’autres acteurs dans les « zones rouges ». Bien que Madagascar ait été classé en tant qu’État fragile par la Banque mondiale en juillet 2013 et par la BAD en mai 2014, nous pouvons dire que c’est un « successful failed state » d’après la formulation de Gérard Prunier et Rachel Gisselquist.